Brainspotting, accès et retraitement des mémoires traumatiques. Réparer les cerveaux pour guérir.



Clotilde Hennequin-Rivoire. Le Brainspotting, c’est faire porter aux patients un regard autre sur les images, pensées, ressentis et émotions qui les assaillent dans les cas de traumas. L’objectif : permettre au cerveau de renouer avec ses capacités d’autoguérison.


Crédit Photo © Xavier Montoy. Revue Hypnose & Thérapies Brèves hors-série 18 sur le Psychotraumatisme
« Les yeux sont la fenêtre de votre âme » William SHAKESPEARE Psychothérapeute new-yorkais, David Grand a travaillé avec les victimes des attentats du 11-Septembre, celles de l’ouragan Katrina, les vétérans d’Irak et d’Afghanistan et nombre de patients polytraumatisés. Avant de développer sa méthode, il pratiquait un EMDR modifié, le Natural EMDR Flow. En opérant des mouvements alternatifs plus lents, David Grand repère un endroit du champ visuel où se manifeste une réponse réflexe du corps. En fixant ce point, sa patiente entre alors dans un fil associatif où émergent souvenirs, pensées, sensations physiques, abréactions émotionnelles. Le thérapeute accueille cela en l’invitant à observer ce qui vient jusqu’à apaisement, puis résolution.

Le Brainspotting était né !

« La direction de votre regard influence la façon dont vous vous sentez », voici la devise centrale du Brainspotting. Je vous invite à en faire l’expérience... Pensez à un événement qui vous perturbe, même légèrement... prenez le temps de l’évoquer, vous y plonger en pensée, le rendre présent... puis identifiez la façon dont votre corps y réagit, la sensation physique ou émotionnelle associée (une respiration plus courte ou oppressée, la gorge qui se serre, une tension dans le dos, une boule au ventre...), évaluez-en l’intensité... notez-la selon l’échelle SUD de 0 à 10, puis déplacez votre regard sur votre gauche, évaluez à nouveau... portez votre regard en face de vous, évaluez... déplacez votre regard à droite, évaluez... et notez les différences. Voici un cas clinique de traitement d’un trauma récent pour illustrer les applications cliniques de la thérapie Brainspotting (BSP).

Après avoir frôlé la mort

Je reçois Jean, qui consulte suite à un accident ischémique transitoire (AIT), expérience où il a senti s’approcher la mort de très près, une expérience de mort imminente (EMI). Jean, la cinquantaine, a une stature de colosse : 1,90 mètre pour plus de 100 kilos. Le fauteuil dans lequel je le reçois disparaît sous l’immense carcasse de géant. Dernier garçon d’une fratrie de cinq garçons, il a été élevé sur le mode « sois un homme, un pur, un dur ; ne pleure pas, les émotions c’est pour les filles ». Dans son milieu, l’émotionnel n’a pas droit de cité, le ressenti est syno nyme de danger. Quand il évoque ce qui l’amène, je l’entends affirmer « tout va bien, ça va aller, je me vois avec ma femme, assis dans le jardin, on va s’en sortir... ». Il semble n’avoir aucune conscience de l’émotionnel qui l’anime, son mental prétend que tout va bien mais son corps hurle le contraire : son souffle est court, son dos voûté, les épaules s’enroulent vers l’avant, tout son corps se recroqueville, se ratatine dans le fauteuil, les traits du visage sont crispés...

Alors je laisse ses pensées pseudo-salvatrices tenter de le rassurer tout en l’invitant à porter son attention sur ces sensations dans son corps, notamment sa difficulté à respirer, sa poitrine oppressée... et de bien noter que son regard fixe un point sur le meuble juste derrière moi... et continuer de fixer ce point tout en s’autorisant à sentir ses sensations corporelles... à laisser venir ce qui doit et ce qui peut venir, comme la sensation physique qui change, une émotion, une image, un souvenir, une pensée, une question... sans rien vouloir, sans rien espérer, sans rien imaginer de ce qui peut se présenter mais en observant sur toutes ces dimensions... Voici une des façons de mettre en place le cadre d’une séance Brainspotting.

On note la similitude avec l’hypnose dans l’accueil sans restriction des sensations et l’accompagnement flottant de l’attention, qui favorisent les émergences spontanées et la transformation de l’expérience interne. Lors de cette première séance, les yeux de Jean se sont posés naturellement sur un point dans l’espace, ce qu’on va nommer en Brainspotting, un Gazespot : point de fixation naturel et intuitif par lequel le regard est attiré en raison de l’ouverture cérébrale qu’il crée. On peut également rechercher intentionnellement ce point particulier du champ visuel : le Brainspot. En séance, après avoir identifié l’activation (qui n’est pas forcément de la perturbation mais « ça bouge, ce n’est pas tranquille »), le patient en évalue l’intensité à l’aide du SUD (Subjective Units of Distress, qui induit déjà l’idée que SUD 0 existe, que la guérison est possible). Une fois repérée la sensation physique associée, on va à la recherche du spot : à l’aide d’un « pointeur » (sorte d’antenne rétractable munie d’un embout coloré), on balaye la totalité du champ visuel, d’abord sur l’axe horizontal... et on s’arrête là où on détecte une réponse réflexe, et/ou le patient perçoit non pas que la sensation est plus intense mais où il la sent de façon plus fine, avec plus d’acuité... puis on précise la position en explorant l’axe vertical.

En état de pleine conscience ciblée, en présence

On invite alors le patient à se mettre en pleine conscience dans une triple attention : focalisée sur ses pensées, ses sensations physiques/ émotionnelles, et la fixation du spot. Avoir longtemps travaillé en périnatalité m’a appris à percevoir l’état des bébés à travers les indicateurs subtils que sont la posture, le souffle, la tonicité, un velouté de peau qui se modifie, l’humidité du regard, un clignement d’oeil, un signe de déglutition, un rythme de respiration, l’amplitude du souffle... Sans négliger le récit cognitif, on écoute ainsi chez nos patients tout ce que le verbal ne dit pas, et on accède aux mémoires traumatiques par le biais des réactions physio - logiques du système nerveux. Une fois identifié le Brain spot, j’invite Jean à entrer en état de pleine conscience ciblée, à porter son attention sur ses expériences internes (émotions, sensations, images, pensées...), à faire appel à ses capacités d’intéroception.

Le voici dans un état d’attention double, comme en EMDR : « un pied dans le passé », dans le souvenir de l’événement traumatique, ET « un pied dans le présent », conscient de ce qui se passe dans son corps dans l’ici et maintenant. Avec toute sa curiosité, sans rien espérer, sans même imaginer de ce qui va se présenter, sans rien vouloir, sans rien pouvoir. Comme l’archéologue qui ne sait pas à l’avance ce qu’il va découvrir... juste observer. Moi-même en pleine conscience focalisée à la fois sur son processus et sur mes propres ressentis. Il m’arrive en effet d’être activée des mêmes ressentis concomitamment à ceux du patient : cela m’informe sur son état, ce qu’il traverse. Un état qui mobilise les capacités de « présence » du thérapeute, qui nécessite d’être pleinement relié à son « sentiment de base » (Frans Veldman en haptonomie), ancré dans le vagal ventral (théorie polyvagale). D’après Milton Erickson, « le thérapeute lui-même entre dans un état de transe nécessaire quand il focalise toute son attention sur le patient et sur ses manifestations verbales ou non verbales » (3).

Est-ce cet état de transe ou le partage d’un état de transe commun qui favorise une plus grande activation des neurones miroirs et le processus de contre-transfert limbique qui voit la congruence des sensations physiques et émotionnelles communes au patient et au thérapeute, qui favorise l’empathie, et la guérison ? Cette qualité de présence qui faisait que François Roustang par sa seule présence mettait les patients en état hypnotique ? Présence commune, nécessaire à nombre d’approches thérapeutiques, puisque c’est dans la présence que se tisse la relation. Révélé par une étude sur l’efficacité des thérapies : quelle que soit la technique utilisée, ce qui soigne c’est la relation. Notre domaine est la thérapie du lien : lien du patient avec le thérapeute, lien avec son monde extérieur, ses liens familiaux, amicaux... lien du patient avec lui-même, son monde intérieur, et ses parties dissociées.

En accordage

Un de s f ondement s du Brainspotting est le processus de double attunement que l’on peine à traduire en français par « accordage », comme des instruments de musique qui s’accordent, vibrent sur la même fréquence ; référence à l’accordage mère-nourrisson de Daniel Stern où la mère détecte et déchiffre les signaux (dans le non-verbal), suit le rythme et les besoins fluctuants du nouveau-né, se synchronise à lui. Le Dr Christian Zaczyk parle de syntonie (du grec suntonos qui résonne en accord), synto nisation thérapeute-patient qui les met sur la même longueur d’onde (2). David Grand insiste sur l’importance du double accordage : accordage corps-cerveau chez le patient (à son propre système interne, ses parties dissociées), accordage thérapeute-patient dans la relation. Dans cet accordage, par le biais des neurones miroirs, le cerveau de Jean s’appuie sur les capacités de mon cerveau à s’autoréguler pour se réguler lui-même... ma capacité à rester dans le vagal ventral, ma connexion au Self (selon le modèle Internal Family System
- IFS) pour amener Jean dans son propre ventral, rester dans son Self afin de traverser les activations émotionnelles et traumatiques. Ainsi le trauma se résout grâce à la Présence et l’accordage. La double syntonie auquel l’IFS a ajouté un troisième accordage, celui du thérapeute avec lui-même, à l’écoute de ses propres ressentis, dans l’ouverture, sans rien prévoir, sans imaginer où le patient va aller, vers quoi il va évoluer, où va l’emmener le voyage.

Faire confiance au principe d’incertitude

« L’essentiel de ce qui se passe à l’intérieur d’un individu est inconnais - sable » (1). Ce qui nous amène cette troisième notion chère à David Grand, l’incertitude.

A l’opposé des thérapies stratégiques où le praticien provoque ce qui se passe, prévoit une approche spécifique pour chaque problème, prend l’initiative, en Brainspotting il n’existe pas de protocole, d’étapes prédéfinies, de procédure à suivre. Evelyne Josse le dit aussi, « le protocole rassure le thérapeute mais il est une entrave à l’intuition clinique et à la créati - vité », tout ce qui est prédéterminé s’oppose au principe d’incertitude et détourne de l’accordage affectif intuitif, et donc perturbe le processus créatif de guérison du patient (1). Le thérapeute BSP reste ouvert, curieux, dans une approche phénoménologique. David Grand utilise cette métaphore : le processus de guérison du patient est comme une comète, et nous thérapeutes devons être « dans la queue de la comète » : ni devant à diriger, ni trop loin derrière, « désaccordés ».

C’est « le patient qui mène et le thérapeute qui suit » (1). Parce que même si l’on est expert de la technique, celui qui reste expert de sa problématique (et donc de ses solutions) c’est celui qui s’assoit dans le fauteuil qui nous fait face. C’est pourquoi on travaille avec le principe d’incertitude et sans aucun présupposé. S’il n’y a pas d’incertitude, il n’y a pas d’accordage. En Brainspotting, seul l’imprévu est toujours certain. Dans ces séances, le thérapeute fait confiance à son intuition et sa créativité, ce qu’il perçoit qui va être ajusté à ce que le patient attend, demande... en total accordage. Il se tient dans une posture d’un « savoir être » plus que d’un « savoir faire ». De même François Roustang dans Savoir attendre y développe « ses capacités d’attention, de sérénité et de silence pour attendre, se retenir d’en faire trop, rechercher ou proposer une solution, il se place dans une attention à l’autre, sans intention, sans prétention, une attente ouverte par la curiosité de laisser les choses se faire ». Dans les séances avec Jean, j’interviens très peu, car en intervenant je risque de contrarier ce principe d’incertitude, de casser l’accordage et donc de perturber son processus naturel et spontané de guérison, et tandis qu’il traverse émotions, sensations, impressions... la séance se déroule le plus souvent dans le silence, un silence habité de nos présences.

Brainspotting Ressource et Dissociation


Lorsque Jean revient à la deuxième séance, il demande à travailler sur le souvenir de l’AIT. A l’évocation de cet événement, Jean est débordé,…

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Clotilde HENNEQUIN-RIVOIRE

Psychologue. Après une carrière de vingt ans comme graphiste illustratrice, elle opère une reconversion professionnelle et obtient un Master2 PCPP (Psychologie clinique Psychopathologie et Psychothérapie) à l’IED Paris 8, suivi d’un DU de Psychiatrie périnatale à Paris 7. Praticienne en haptonomie, thérapeute EMDR accréditée en 2014, elle a été formée au Brainspotting en 2015 par David Grand en personne. Après avoir travaillé en PMI et en maternité, elle exerce maintenant en libéral.

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Hypnothérapeute, Formateur en EMDR - IMO à Paris, Marseille, Annecy, Bordeaux, Suisse (Genève,… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le 16 Octobre 2024 à 14:23 | Lu 306 fois


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