© Illustrations : Geneviève Marot
Alors que différentes écoles recommandent d’arrêter le travail thérapeutique lorsque des phénomènes dissociatifs apparaissent, la Psychothérapie du Trauma Réassociative (PTR) suggère tout au contraire de les amplifier et de s’en servir de manière thérapeutique. Une pratique qui révolutionne le traitement des traumas et équivalents traumatiques.
Lors d’un incident traumatique, dans l’urgence du moment, le cerveau met spontanément en place un gigantesque assemblage pour protéger l’individu. La victime se trouve ainsi brusquement et massivement envahie par des phénomènes hypnotiques dissociatifs (anesthésie physique ou émotionnelle, dépersonnalisation, catalepsie, réactions psychosomatiques, etc.) qui vont l’aider à supporter sa souffrance. Au-delà de cette utilité immédiate, ces protections dissociatives ne sont plus généralement perçues que comme des symptômes. Leur potentiel positif ne va de soi ni pour le patient, ni pour le thérapeute non averti qui tend à y voir des résistances au travail en cours. Pour le praticien en PTR, par contre, il s’agit là de ressources extraordinaires dont l’utilisation paradoxale permet de garantir le confort du patient lors de la désensibilisation du trauma.
Dans une interview accordée à la revue Esprit, François Roustang déclarait : « Désormais ma pratique laisse une plus grande part au silence. Mais il faut souvent mettre le doigt sur quelque chose qui bloque le patient, lui faire sentir que c’est sur tel point qu’il est arrêté. Il faut alors violemment intervenir. » Cette position qui souligne l’importance d’un diagnostic éclairé et la nécessité d’une intervention ferme et décidée, voire audacieuse, du thérapeute s’approche de la conception du Mental Research Institute (MRI) de Palo Alto, lui aussi influencé par Milton H. Erickson. Au MRI, on s’attache à rechercher les tentatives de solution mises en oeuvre par le patient dans l’espoir de se sortir du problème car ce sont précisément elles qui bloquent son évolution.
D’où l’aphorisme : « Le problème, c’est la solution ! » Le patient se trouve dans un paradoxe initial qui nécessitera un contre-paradoxe thérapeutique ferme et précis. Le déblocage de la situation implique une certaine « violence » puisque l’intervention s’oppose de facto aux efforts entrepris par la personne pour ne plus souffrir. En matière de traitement des traumas, la PTR a adopté une position parallèle aux concepts du MRI : dans un cas comme dans l’autre, ce sont des tentatives de solution qui posent problème. Et ici elles sont principalement hypnotiques et involontaires, constituées de phénomènes hypnotiques apparus pour protéger la personne au moment d’un incident traumatique. L’intervention paradoxale proposée en PTR est contre-intuitive et demande à la fois décision et fermeté de la part du thérapeute. Pour citer Roustang, « le thérapeute doit avoir l’intelligence de ce qui bloque le patient ».
En PTR, on comprend et intègre l’idée que les réactions hypnotiques protectrices apparues lors de l’état de stress post-traumatique se muent en symptômes. Constamment présentes à bas bruit, leur intensité est réactivée lorsqu’un stimuli interne ou externe rappelle l’incident traumatique. L’intervention que nous proposons de faire avec les symptômes hypnotiques intempestifs est typiquement « contre-paradoxale » : elle montre et utilise avec insistance ce qui ne fonctionne plus à un niveau inconscient. Ainsi, ce qui apparaît au premier regard comme une forme de violence s’avère in fine libérateur et permet au patient de se réveiller à lui-même, de se débarrasser d’une carapace de « protections liberticides ». On est là au coeur d’un travail hypnotique dont François Roustang rappelait l’essence : « Erickson a interprété et compris l’hypnose dans ce qu’il y a de plus simple et de plus extravagant : montrer à quelqu’un qui veut se réveiller ce qui ne fonctionne plus, le lui montrer indéfiniment jusqu’à ce qu’il puisse se réveiller. Le but de l’hypnose est le réveil à soi, à son propre élan vital. » Concrètement, lors du travail de désensibilisation des traumas par la PTR, le patient est invité à utiliser de manière paradoxale ses manifestations symptomatiques hypnotiques (ou protections dissociatives). On commence par lui demander s’il ressent telle ou telle protection dissociative, puis on l’invite à l’intensifier afin d’obtenir une maîtrise sur ce phénomène hypnotique subi. Pour la première fois depuis l’incident traumatique, il va ainsi obtenir un contrôle sur ses symptômes invasifs et parfois effrayants. L’aspect pédagogique est constant en PTR : ici, le patient reçoit toutes les informations nécessaires à la compréhension de cette injonction paradoxale, de son utilité, de son but. On lui explique qu’il va prendre les commandes des phénomènes étranges qu’il subissait impuissant jusqu’ici ; il apprendra à se servir d’un bouton de volume pour faire varier l’intensité du phénomène/symptôme, d’abord dans le mauvais sens, pour finalement en devenir le maître. Et, toujours, on veille à lui rappeler qu’à tout moment du travail, il peut refuser ou proposer une alternative à ce qui lui est demandé de faire. En additionnant ses différentes protections dissociatives les unes aux autres, le patient se voit offrir un véritable arsenal d’anesthésiants protecteurs. Il bénéficiera dès lors d’un confort sans pareil pour revisiter et dévitaliser les traumas les plus douloureux avec les phénomènes hypnotiques qu’il maîtrise le mieux.
Si les traumas (et/ou les parties les plus virulentes d’un trauma) sont très souvent « retirés » du conscient (simplement oubliés ou oubliés ET transformés en maladies psychosomatiques) pour protéger la personne de la peine et de la douleur, l’amnésie est une protection dissociative qui devient, elle aussi, inutile grâce à l’usage de ces anesthésiants. L’utilisation paradoxale des protections dissociatives permet donc l’accès à des contenus particulièrement bien enfouis, dissociés en raison des souffrances qu’ils impliquaient. Souvent la levée d’amnésie se déclenche automatiquement : dès qu’un premier souvenir est désensibilisé ou est en voie de l’être, un autre pour lequel les protections dissociatives avaient fait leur oeuvre apparaît spontanément à la con - science. Si ce n’est pas le cas, le thérapeute demandera au patient de « réanimer » les phénomènes hypnotiques offerts et déjà utilisés pour qu’un autre incident traumatique puisse faire son apparition. Il l’invitera ensuite à transformer ce souvenir pour l’insensibiliser.
Suite au travail de désensibilisation des souvenirs traumatiques et de leurs contenus émotionnels, l’existence même des protections dissociatives devient obsolète. Elles vont dès lors disparaître tout naturellement en emportant avec elles leur forme symptomatique.
Illustration Lors d’un incident traumatique…
Pour lire la suite de l’article et commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°61
Lors d’un incident traumatique, dans l’urgence du moment, le cerveau met spontanément en place un gigantesque assemblage pour protéger l’individu. La victime se trouve ainsi brusquement et massivement envahie par des phénomènes hypnotiques dissociatifs (anesthésie physique ou émotionnelle, dépersonnalisation, catalepsie, réactions psychosomatiques, etc.) qui vont l’aider à supporter sa souffrance. Au-delà de cette utilité immédiate, ces protections dissociatives ne sont plus généralement perçues que comme des symptômes. Leur potentiel positif ne va de soi ni pour le patient, ni pour le thérapeute non averti qui tend à y voir des résistances au travail en cours. Pour le praticien en PTR, par contre, il s’agit là de ressources extraordinaires dont l’utilisation paradoxale permet de garantir le confort du patient lors de la désensibilisation du trauma.
Dans une interview accordée à la revue Esprit, François Roustang déclarait : « Désormais ma pratique laisse une plus grande part au silence. Mais il faut souvent mettre le doigt sur quelque chose qui bloque le patient, lui faire sentir que c’est sur tel point qu’il est arrêté. Il faut alors violemment intervenir. » Cette position qui souligne l’importance d’un diagnostic éclairé et la nécessité d’une intervention ferme et décidée, voire audacieuse, du thérapeute s’approche de la conception du Mental Research Institute (MRI) de Palo Alto, lui aussi influencé par Milton H. Erickson. Au MRI, on s’attache à rechercher les tentatives de solution mises en oeuvre par le patient dans l’espoir de se sortir du problème car ce sont précisément elles qui bloquent son évolution.
D’où l’aphorisme : « Le problème, c’est la solution ! » Le patient se trouve dans un paradoxe initial qui nécessitera un contre-paradoxe thérapeutique ferme et précis. Le déblocage de la situation implique une certaine « violence » puisque l’intervention s’oppose de facto aux efforts entrepris par la personne pour ne plus souffrir. En matière de traitement des traumas, la PTR a adopté une position parallèle aux concepts du MRI : dans un cas comme dans l’autre, ce sont des tentatives de solution qui posent problème. Et ici elles sont principalement hypnotiques et involontaires, constituées de phénomènes hypnotiques apparus pour protéger la personne au moment d’un incident traumatique. L’intervention paradoxale proposée en PTR est contre-intuitive et demande à la fois décision et fermeté de la part du thérapeute. Pour citer Roustang, « le thérapeute doit avoir l’intelligence de ce qui bloque le patient ».
En PTR, on comprend et intègre l’idée que les réactions hypnotiques protectrices apparues lors de l’état de stress post-traumatique se muent en symptômes. Constamment présentes à bas bruit, leur intensité est réactivée lorsqu’un stimuli interne ou externe rappelle l’incident traumatique. L’intervention que nous proposons de faire avec les symptômes hypnotiques intempestifs est typiquement « contre-paradoxale » : elle montre et utilise avec insistance ce qui ne fonctionne plus à un niveau inconscient. Ainsi, ce qui apparaît au premier regard comme une forme de violence s’avère in fine libérateur et permet au patient de se réveiller à lui-même, de se débarrasser d’une carapace de « protections liberticides ». On est là au coeur d’un travail hypnotique dont François Roustang rappelait l’essence : « Erickson a interprété et compris l’hypnose dans ce qu’il y a de plus simple et de plus extravagant : montrer à quelqu’un qui veut se réveiller ce qui ne fonctionne plus, le lui montrer indéfiniment jusqu’à ce qu’il puisse se réveiller. Le but de l’hypnose est le réveil à soi, à son propre élan vital. » Concrètement, lors du travail de désensibilisation des traumas par la PTR, le patient est invité à utiliser de manière paradoxale ses manifestations symptomatiques hypnotiques (ou protections dissociatives). On commence par lui demander s’il ressent telle ou telle protection dissociative, puis on l’invite à l’intensifier afin d’obtenir une maîtrise sur ce phénomène hypnotique subi. Pour la première fois depuis l’incident traumatique, il va ainsi obtenir un contrôle sur ses symptômes invasifs et parfois effrayants. L’aspect pédagogique est constant en PTR : ici, le patient reçoit toutes les informations nécessaires à la compréhension de cette injonction paradoxale, de son utilité, de son but. On lui explique qu’il va prendre les commandes des phénomènes étranges qu’il subissait impuissant jusqu’ici ; il apprendra à se servir d’un bouton de volume pour faire varier l’intensité du phénomène/symptôme, d’abord dans le mauvais sens, pour finalement en devenir le maître. Et, toujours, on veille à lui rappeler qu’à tout moment du travail, il peut refuser ou proposer une alternative à ce qui lui est demandé de faire. En additionnant ses différentes protections dissociatives les unes aux autres, le patient se voit offrir un véritable arsenal d’anesthésiants protecteurs. Il bénéficiera dès lors d’un confort sans pareil pour revisiter et dévitaliser les traumas les plus douloureux avec les phénomènes hypnotiques qu’il maîtrise le mieux.
Si les traumas (et/ou les parties les plus virulentes d’un trauma) sont très souvent « retirés » du conscient (simplement oubliés ou oubliés ET transformés en maladies psychosomatiques) pour protéger la personne de la peine et de la douleur, l’amnésie est une protection dissociative qui devient, elle aussi, inutile grâce à l’usage de ces anesthésiants. L’utilisation paradoxale des protections dissociatives permet donc l’accès à des contenus particulièrement bien enfouis, dissociés en raison des souffrances qu’ils impliquaient. Souvent la levée d’amnésie se déclenche automatiquement : dès qu’un premier souvenir est désensibilisé ou est en voie de l’être, un autre pour lequel les protections dissociatives avaient fait leur oeuvre apparaît spontanément à la con - science. Si ce n’est pas le cas, le thérapeute demandera au patient de « réanimer » les phénomènes hypnotiques offerts et déjà utilisés pour qu’un autre incident traumatique puisse faire son apparition. Il l’invitera ensuite à transformer ce souvenir pour l’insensibiliser.
Suite au travail de désensibilisation des souvenirs traumatiques et de leurs contenus émotionnels, l’existence même des protections dissociatives devient obsolète. Elles vont dès lors disparaître tout naturellement en emportant avec elles leur forme symptomatique.
Illustration Lors d’un incident traumatique…
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Gérald BRASSINE
Psychothérapeute, formateur en hypnose et thérapie brève. Fondateur de l’Institut Milton H. Erickson de Belgique (1984) et de celui du Nord de la France. Formations décisives auprès de P. Watzlawick, J. Weakland, R. Fisch, N. Cummings et Kay Thompson. Créateur de l’Hypnose conversationnelle stratégique-PTR. Auteur de : Faut-il parler de ça aux enfants ? Prévenir, détecter et gérer les abus sexuels subis par les enfants ; La vengeance du Jaguar ; Pour une intervention écologique dans le cadre de l’inceste ; Viols et agressions sexuelles avec usage de stupéfiants.
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N°61 Mai, Juin, Juillet 2021
Dossier : Ecothérapie et F. Roustang
- Edito: Créativité et résonance. Julien Betbèze, rédacteur en chef
- Peur de prendre l’avion. Technique des mains de Rossi. Corinne Paillette, médecin
- Remise en mouvement. Les techniques hypnotiques du « mine de rien ». Marie-Clotilde Wurz de Baerts, psychologue clinicienne
- Le pouvoir de la dissociation. Corps et trauma. Gérald Brassine, psychothérapeute
Urgences radiologiques. Le récit de ma vie de grande sensible. Kathy Prouille, manipulatrice en électrocardiologie
La plume et le masque. Histoire de masques, de vagues et de web-conférences par temps de pandémie. Olivier de Palézieux, médecin urgentiste
Douleur douceur
Edito. Gérard Ostermann, médecin
Automaticité et neurosciences. Carolane Desmarteaux, neuropsychologue et Pierre Rainville, directeur du laboratoire de neuropsychologie-physiologie de la douleur de Montréal
Syndromes d’Ehlers – Danlos. Errance du douloureux chronique. Sylvie Colombani-Claudel, médecin anesthésiste réanimateur et Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste
Dossier Ecothérapie autour de François Roustang
Edito : Réintroduire un imaginaire centré sur la coopération. Julien Betbèze
François Roustang et l’écothérapie. Il suffit de se sentir vivant. Virginie Coulombe, psychologue clinicienne
Hypnose et crise écologique. La transe, renouveau anthropologique. Nicolas Bichot, psychologue clinicien
Hypnose et narcissisme. La métaphore au service de la relation. Alexia Morvan, docteur en chirurgie dentaire
Rubriques :
Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : Résonance. Stefano Colombo, psychiatre, illustration Mohand Chérif Si Ahmed, psychiatre
Les champs du possible : A la bonne heure ! Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
Culture monde : Ces songes qui guérissent. Les rites d’incubation d’Hyderabad à Epidaure. Sylvie Le Pelletier-Beaufond, médecin-psychothérapeute.
Les grands entretiens : Chantal Wood, pédiatre. Par Gérard Fitoussi, médecin
Dossier : Ecothérapie et F. Roustang
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La plume et le masque. Histoire de masques, de vagues et de web-conférences par temps de pandémie. Olivier de Palézieux, médecin urgentiste
Douleur douceur
Edito. Gérard Ostermann, médecin
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Hypnose et narcissisme. La métaphore au service de la relation. Alexia Morvan, docteur en chirurgie dentaire
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Les grands entretiens : Chantal Wood, pédiatre. Par Gérard Fitoussi, médecin