Thérapie du truc. Revue Hypnose & Thérapies brèves n°68.



Solen MONTANARI
Le pourquoi du comment !


« Non, dit le Petit Prince. Je cherche des amis. Qu’est-ce que signifie “apprivoiser” ?
- C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie “créer des liens”...
- Créer des liens ?
- Bien sûr, dit le renard. Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde... » Le Petit Prince, Antoine DE SAINT-EXUPÉRY

Il y a comme un « truc ». L’expression semble sonner juste dans l’histoire d’Elisa, adolescente perturbée, traversée de doutes et d’angoisses. Et si ce « truc » était la clé pour activer le lien entre jeune patiente et thérapeute, avec un iceberg surgi de leur imaginaire...

Elisa, 14 ans, m’est adressée par une ancienne patiente sophrologue qui dit ne pas parvenir à aider suffisamment sa jeune patiente. Elle m’explique rapidement qu’Elisa ne retourne plus à l’école depuis des mois et souffre de dépression et d’angoisses. La sophrologie l’aide à s’apaiser un peu mais la thérapeute sent qu’elle ne parvient pas à lever un frein. Elisa vient avec sa maman, perdue dans sa capuche de hoodie rose deux tailles trop grandes pour elle. Elle a un regard blasé et distant. Sa maman est très présente, cherchant à établir un contact entre sa fille et moi en passant son regard sur Elisa, puis sur moi, de manière alternative et inquiète. Je comprends que Elisa a été rencontrée par un bon nombre de psychologues, médecins, psychiatres et autres thérapeutes. Elle n’a nullement envie d’être présente là, maintenant, dans mon cabinet. Elle me dit qu’elle ne fait plus confiance aux « médecins », soit au mieux ils avancent des théories et des injonctions sur son état, soit au pire ils ne l’écoutent même pas. Elle n’a aucun espoir que nous puissions faire quelque chose pour elle et a encore moins envie de me raconter pour la énième fois son histoire. Ma chaise à roulettes fait un bon mètre de recul et je me décale légèrement sur le côté pour ne pas prendre de plein fouet ses réticences et ses critiques à l’égard de mes confrères. Sa maman prend un air contrit et désespéré.

- Thérapeute : « Si je comprends bien, il y a quelque chose qui t’amène de médecin en médecin et personne ne semble t’aider comme tu souhaites l’être ?

- Elisa : Je crois que personne ne peut m’aider. Et à chaque fois que je dois parler, tout le monde pense comprendre, mais personne ne comprend vraiment. Ils sont tous fiers de mettre un mot sur ça sans que ça soit vraiment le problème.

- Th. : Es-tu en train de me dire qu’il y a un problème ?

- Elisa : Je ne sais pas.

- Th. : OK, qu’est-ce qui fait que tu vas de médecin en médecin, alors ?

- Elisa : Ma mère.

- Th. : Très bien, et ta mère, qu’est-ce qui l’amène à t’amener de médecin en médecin, d’après toi ?

- Elisa : Ben, y a un truc.

- Th. : Ah, un truc ?

- Elisa : Oui, un truc.

- Th. : Bien, donc, y a un truc ? Ce truc, est-ce qu’il serait possible pour nous de l’imaginer ici entre nous dans cet espace ? Comme une scène imaginaire sur laquelle nous poserions ce « truc » ?

- Elisa : Oui.

- Th. : OK. Donc ce « truc », il est comment ?

- Elisa : Ben en fait, y a un autre truc à côté.

- Th. : Ah ? Et si on met également l’autre truc à côté ? Ça donne quoi quand ils sont à côté comme ça ?


- Elisa : Et ben voilà. Les médecins, ils mettent un nom sur ces deux trucs ensemble mais ne regardent jamais ce qu’il y a réellement dessous. Ils se font plaisir et veulent que je fasse des choses en fonction.

- Th. : OK, donc y a un truc, un autre à côté, et au
-dessus y a un titre que les médecins ont donné à ces deux trucs ?

- Elisa : Oui, mais je m’en fiche de ce titre. Ils en parlent tous, ils n’écoutent pas.

- Th. : Ah, et tu dis qu’il y a quelque chose en dessous, c’est bien ça ?

- Elisa : Oui, il est en dessous et beaucoup plus grand. Elisa commence à s’animer un peu plus sur sa chaise. Elle commence à se pencher sur cet espace entre nous et avec des gestes donne forme à ce qui se construit.

- Th. : Ce truc en dessous est en lien avec les deux trucs au
-dessus et avec le titre que les médecins ont donné dont tu t’en fiches ?

- Elisa : Oui, c’est comme une ligne horizontale... oui, une ligne qui monte et qui descend.

- Th. : Elisa, c’est peut être étrange ce que je vais te dire, mais il y a une image qui se forme de plus en plus clairement lorsque je regarde tout ça... tu me permets de dire ce que je vois ici entre nous ?

- Elisa : Oui.

- Th. : Je vois comme un iceberg, avec ces deux trucs, le titre au dessus, et cette ligne est comme la ligne du niveau de la mer et en dessous une énorme masse noire.

- Elisa : Oui, oui ! C’est exactement ce que je vois, comment vous faites ça ?

- Th. : Je ne sais pas... ce niveau de la mer, si je comprends bien, bouge, non ?

- Elisa : Oui, ça dépend de comment je me sens, ça dépend si je vais mieux ou pas. Ça dépend s’il y a des choses de la masse en dessous qui se décrochent.

- Th. : Hum... et donc ça bouge tout ça. Le haut, le bas, le niveau entre les deux, le sentiment de se sentir mieux et des choses qui se décrochent.

- Elisa : Oui, et il y a une chaîne qui tient le bas par la pointe et va vers le fond.

- Th. : Et ce fond est encore plus noir et sombre, la chair de poule me vient sur les bras lorsque cette image est là, et il y a une grande peur qui l’accompagne...

- Elisa : Oui, c’est là que personne ne veut aller...

- Th. : Dis-moi, je ne sais pas si je saurais t’aider, ni même si tu as besoin d’aide, mais si jamais tu acceptais de revenir peut-être une prochaine fois, est-ce que tu accepterais de me faire découvrir ce fond noir et sombre ?

- Elisa : Oui, mais même moi je ne connais pas vraiment ce que c’est, j’en ai peur.

- Th. : Est-ce que tu penses qu’il serait envisageable cette prochaine fois, s’il y en a une, que nous nous en approchions un peu ensemble ? » Elisa acquiesce de la tête. Sa maman sourit, me dit qu’elle n’a pas tout compris mais que c’est la première fois que sa fille parle et se livre autant sur ses sentiments. La Thérapie du lien et des mondes relationnels nous amène à proposer un espace, dans l’ici et maintenant, dans lequel la rencontre peut être possible.

Elle permet de planter un décor fertile qui fait émerger une relation dans un moment précieux. Pour le thérapeute, c’est à chaque fois une façon créative et étonnante de se mettre en relation. Dans ce travail, ensemble, nous co-construisons une scène imaginaire. Cet imaginaire partagé est l’espace dans lequel à cet instant précis, les pensées, les choses, les ressentis peuvent prendre forme. Ils peuvent se dévoiler, se présenter, prendre vie et se transformer. Grâce à cette co-création de la part du patient et du thérapeute, une rencontre de deux mondes relationnels s’opère. C’est un espace qui devient propre et commun aux deux, dans lequel le lien patient-thérapeute devient possible. Ensemble, ils regardent la scène, ensemble, ils ressentent les effets de ce qui s’y déroule, ensemble, ils vivent une expérience unique. Ils en deviennent unis. Daniel Stern décrit ce phénomène de rencontre et de partage lorsqu’il parle d’intersubjectivité.

Cette bulle, dans laquelle se vit une expérience propre au patient et au thérapeute, est un moment où ils se reconnaissent entre êtres vivants, avec leurs pensées, leurs croyances et leurs ressentis. Ce besoin que nous avons d’être compris est vital, c’est ce dont tout le monde parle lorsqu’on parle d’empathie. Cette expérience avec Elisa était assez inédite pour moi. Ce petit mot « truc » a suffi pour qu’on se cherche, qu’on se parle et qu’on se comprenne au-delà de nos pensées, dans nos corps. Cette chair de poule qui s’est invitée dans mon corps, en lien avec ce qui se passait dans la scène imaginaire, m’a permis de ressentir au-delà de toute interprétation. De sentir avec. Edmund Husserl dit : « nous devons avoir l’esprit ouvert à l’autre afin de voir les mêmes choses que l’autre », mais j’ajouterais aussi : « ... pour sentir dans notre corps les mêmes choses que l’autre ». En effet, le corps est un élément indispensable dans le travail clinique. Dans la Thérapie du lien et des mondes relationnels, ce corps est un corps en relation, il est vivant en lien avec son environnement et avec les autres. Les informations que reçoit le corps et qu’il émet en retour sont des éléments qui permettent de densifier la communication interpersonnelle et intrapersonnelle.

Il capte et envoie des messages non verbaux qui vont au-delà du cognitif. En clinique, ce sont ces messages, quelquefois les plus inexpliqués, les plus étonnants qui nous semblent les plus « justes », les plus accordés dans cette bulle co-construite entre patient et thérapeute. Nous pouvons la comparer à la rencontre corporelle mère-enfant. En observant les expressions du visage et du corps de son enfant, la mère est plus à même de répondre aux besoins du bébé. Par observation et mimétisme, elle reproduit spontanément les expressions de son enfant. On sait que le bébé, dès ses premières minutes de vie, a une capacité également à reproduire les expressions de sa mère. Ensemble, ils s’accordent et une synchronicité entre les deux êtres se met en mouvement, créant petit à petit une bulle unique et sécurisante. Le corps à corps mère-enfant crée un lien sécure ; le corps apaisé de la mère parvient à apaiser le corps agité de son enfant.

En clinique, il est important que le thérapeute puisse lui-même faire l’expérience d’une relation à l’autre, au monde, à ses représentations sécures. C’est une expérience vécue par et dans le corps d’une manière incontestable. Ancré dans son corps, le thérapeute peut mettre en place les moyens, par cet espace de créativité, qui permettent aux deux protagonistes de la thérapie de se connecter. Faire cette expérience peut soit réactiver les ressources déjà vécues chez le patient et permettre de découvrir qu’il y a d’autres personnes avec qui cette…


Pour lire la suite et commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°68




SOLEN MONTANARI

Psychologue, psychothérapeute depuis 2000. Travaille en libéral en région parisienne auprès d’enfants et des familles, formatrice à la Thérapie du lien et des mondes relationnels (TLMR) à l’Institut Mimethys.

Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°68

- Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente dans son édito le contenu de ce n°68 :

Comment devenir un meilleur thérapeute ?

Cette question est au centre de notre pratique, elle implique la « présence » du thérapeute dans une approche centrée sur le corps relationnel, ainsi que la mise en place d’évaluations visant à améliorer la qualité du lien thérapeutique.


. François Cartault nous montre comment le travail sur le deuil implique de retrouver la relation perdue comme étape initiale avant de développer l’autonomie de la personne endeuillée. Dans la séance présentée, le questionnement narratif met en évidence l’importance de décrire les différences et les points communs entre les sujets pour enrichir et faire perdurer la relation.
. Solen Montanari nous décrit la situation d’Elisa, 14 ans, qui a perdu toute confiance, un « truc » l’empêchant de lâcher prise dans la relation de soin. Selon l’approche TLMR (Thérapie du lien et des mondes relationnels faisant suite à l'HTSMA et à l'EMDR) qu’elle pratique, elle intègre sa propre résonance (image d’un iceberg et vécu de chair de poule) pour co-construire un imaginaire partagé où le thérapeute et Elisa regardent ensemble la scène et en ressentent les effets sous forme d’une expérience unique.
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond nous fait part de son expérience des séances d’hypnose partagées avec François Roustang. Elle souligne l’importance de la ''présence'' pour François Roustang dans sa manière de constituer une relation thérapeutique. Elle rappelle le principe qui gouverne sa pensée, l’existence de deux registres distincts : une forme discontinue correspondant à la dimension de l’individualité, et une forme continue, un fond, constitué de l’ensemble du système relationnel correspondant à la dimension de la singularité.

Ces trois auteurs mettent en scène ce qui est au centre de l’utilisation de l’hypnose en thérapie : le développement d’un processus coopératif où la présence du thérapeute est renforcée par le fait que ce dernier ne pense pas à la place du sujet.

. Grégoire Vitry et ses collaborateurs nous montrent comment la participation de chaque thérapeute à un réseau d’évaluation de sa propre pratique (Réseau SYPRENE) favorise une amélioration de notre pratique. Dans ce travail de recherche portant sur les effets de l’évaluation de l’alliance thérapeutique et de l’état de bien-être, nous comprenons l’importance de tenir compte de la perception du sujet et de partager avec nos pairs.

- L’édito de Gérard Ostermann dans l’Espace Douleur Douceur souligne l’importance de la capacité du thérapeute à faire un « pas de côté » pour rendre l’hypnose vivante dans les soins.

- Chirurgie maxillo-faciale en mission humanitaire, un article de Christine ALLARY

- Olivier de Palezieux nous parle du placebo

- Corps et espace sécure: changer le monde du patient par Jean-François DESJARDINS

- Dans le dossier consacré aux addictions, une constante est l’absence de confiance dans la relation humaine. Les trois auteurs, Maxime Devars, Anne Surrault et Nathalie Denis, nous proposent différentes manières de se libérer des symptômes bloqueurs de la relation (hyperactivité dans l’anorexie, conduite automatique chez le fumeur). Ils s’appuyent sur leur créativité et un imaginaire donnant toute sa place à la stratégie pour que les sujets puissent se réapproprier leur responsabilité dans le soin.

Nous retrouvons la qualité des chroniques habituelles, l’humour de Stefano et Muhuc, les situations cliniques richement décrites par Sophie Cohen, Adrian Chaboche et Nicolas D’Inca : à lire et à se laisser imprégner.

Ce numéro rend également hommage au Professeur Peter B. Bloom, ancien président de l’ISH qui vient de nous quitter le 10 septembre 2022 à l’âge de 86 ans. Dans une interview donnée à Gérard Fitoussi, il souligne l’importance de la créativité dans notre pratique et son espoir que l’hypnose continue à favoriser les rencontres et à nous faire partager des histoires de vie.

Crédit photo © Michel Eisenlohr


Médecin Addictologue. Responsable de la plateforme ACCH.Formé par Jean-Marc Benhaiem et François… En savoir plus sur cet auteur

Rédigé le 4 Aout 2023 à 23:38 | Lu 846 fois


Dans la même rubrique :